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acTTTus#14 – La tribune du lauréat

Simon Gascoin

A chaque nouvelle acTTTus, la parole est donnée à un lauréat des Trophées de la Valorisation de la Recherche 2020. Découvrez la tribune de Simon Gascoin – Chargé de recherche CNRS – Laboratoire CESBIO, lauréat du Trophée Impact Social.

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Cette tribune a été en partie publiée dans Le Monde fin aout 2021 : « Images satellites : L’Europe doit investir dans un cloud public sans passer par les infrastructures des Gafam ». Tribune co-écrite avec Olivier Hagolle, ingénieur au CNES, Centre d’études spatiales de la biosphère.

Simon Gascoin et Olivier Hagolle, chercheurs au CESBIO, expliquent, dans cette tribune l’importance de la mise en place d’un service public européen de traitement des données satellitaires.

Simon Gascoin

« Chargé de recherche au CNRS affilié au Centre d’Etudes Spatiales de la Biosphère, je travaille dans le domaine de la télédétection appliquée à l’hydrologie. J’explore le potentiel des satellites d’observation de la Terre pour mieux caractériser les ressources en eau. En particulier, je m’intéresse au suivi de l’enneigement dans les montagnes car la fonte printanière représente une fraction importante des écoulements dans de nombreux bassins versants comme celui de la Garonne. »

Lancement du programme Copernicus

Les satellites ont été utilisés pour le suivi de l’environnement depuis les années 1980. Si les principaux programmes d’observation de la Terre étaient majoritairement américains, l’Union Européenne a frappé un grand coup en lançant le programme Copernicus qui est à ce jour le projet le plus ambitieux pour le suivi de notre planète depuis l’espace. Il y a actuellement une flotte de huit satellites européens en orbite appelée “Sentinel” qui photographient sans relâche la Terre dans de multiples longueurs d’onde et à une cadence infernale.

A la genèse du programme, la commission européenne a souhaité que l’accès aux données Sentinel soit “total, ouvert et gratuit” afin de maximiser l’exploitation des données pour le bénéfice de la société. En d’autres termes, le programme est un service public financé par les impôts des Européens. Mais cela n’interdit pas – au contraire – la création de services commerciaux adossés à ces données.

Cette position n’était pas évidente au tournant du 21e siècle où le modèle économique alternatif (l’utilisateur achète les images) était souvent privilégié par les agences spatiales en Europe. Au total l’Union européenne a investi 8 milliards d’euros dans ce programme de 2008 à 2020.

Déluge de données

Ce choix fut payant puisque le programme Copernicus est un succès. En 2019, la plateforme de distribution des données Copernicus comptait près de 300’000 utilisateurs inscrits. Les données distribuées ont permis de nombreuses avancées scientifiques et techniques pour le suivi du climat, des ressources en eau, des écosystèmes ou des catastrophes naturelles comme les incendies, les inondations et les séismes. Les images Sentinel sont de plus en plus souvent utilisées par les médias comme pour cette enquête récente du Monde sur l’expansion militaire chinoise. Des services commerciaux ou non ont vu le jour dans le domaine de l’agriculture de pointe notamment. Enfin, les observations et connaissances générées qui irriguent nos sociétés ont sans doute contribué à la prise de conscience environnementale.

Un bémol cependant est que la Commission européenne n’a sans doute pas suffisamment anticipé les défis liés à la distribution de ce déluge de données. Chaque jour, les satellites Sentinel produisent 12 téraoctets de données. Dès le lancement des premiers Sentinel, les points d’accès aux données mis en place par l’Agence Spatiale Européenne ont été rudement mis à l’épreuve.

En parallèle, tirant parti de la politique open data du programme Copernicus, les géants du numérique Amazon, Google et Microsoft téléchargent systématiquement les données sur leurs serveurs et proposent désormais des systèmes d’accès et de traitement bien plus performants que les solutions institutionnelles.

Les fabuleuses données Copernicus inexploitables

Ces plateformes qu’on appelle des “clouds” permettent à chacun d’analyser des quantités phénoménales d’images satellitaires depuis son navigateur Internet. Ces services qui sont généralement gratuits (dans certaines limites) offrent un service clé pour qu’un maximum d’utilisateurs puisse exploiter les données, y compris dans les pays émergeants où les capacités de stockage et de calcul sont insuffisantes.

A ce jour, il n’existe pas de service non commercial qui fasse de l’ombre à ces plateformes. Pourtant les fabuleuses données Copernicus sont pratiquement inexploitables sans un tel outil. En France, des privilégiés comme moi peuvent accéder aux données Sentinel via le centre de calcul du CNES.

Mais ce système n’est pas dimensionné pour accueillir des centaines de milliers d’utilisateurs ou des entreprises privées qui souhaitent mettre en place un service opérationnel basé sur les données Sentinel. La Commission européenne a financé des plateformes cloud appelée DIAS (Data and Information Access Systems) afin de répondre à ce défi, mais leur exploitation reste encore limitée à des utilisateurs expérimentés et leur cout est prohibitif pour de nombreuses applications.

A mon avis, l’Europe doit investir dans un cloud public qui permette aux scientifiques et citoyens européens de valoriser la masse de données produite par les satellites Sentinel sans passer par les infrastructures des Gafam. La question devient d’autant plus urgente que Copernicus vient d’intégrer le service européen concernant le changement climatique qui produit à son tour une masse de données non moins critique pour la connaissance et l’action publique.